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Prox’aventure : Histoire d’une mobilisation contre la violence en milieu scolaire

dimanche 26 mars 2023, par Parents Saint-Denis

En septembre 2022, les parents de l’élémentaire Langevin de Saint-Denis apprennent effarés que leurs enfants ont été initiés à des techniques particulièrement violentes sur le temps de l’école. Sur une initiative des élus, au nom de la prévention, nos enfants, du CP au CM2, se sont entraînés au tir, ont appris les techniques du placage ventral et du maniement du « bâton de défense » (tonfa), se sont menottés entre eux... Lire en 4 volets le décryptage de Prox ;aventure sur le Blog de Saint-Denis Prox’aventure, la citoyenneté à coups de matraques 1, 2, 3 & 4

Les étapes en bref

Vendredi 23/09- Un flyer dans les carnets présente une « journée sportive et citoyenne » avec des policiers.
Mardi 27/09- A l’issue de la journée, les parents de Langevin (18 classes, les CM1 et les CM2 ont participé) sont alerté par des « ateliers » ayant initié nos enfants à des pratiques violentes et à la manipulation d’armes, dans le contexte scolaire, parfois sans présence d’enseignants, avec des demandes de données personnelles aux enfants notées par certains policiers dans leur portable. Nous décidons de réunir des informations en vue d’une lettre à la Ville et à l’IEN.
Lundi 3/10- Envoi du courrier à la Ville des parents de Langevin à la préfecture et à l’IEN.
Lundi 3/10. Réponse immédiate d’Oriane Filhol, adjointe à la prévention : elle nie tout en bloc.
Lundi 10/10- Prox’aventure « journée sportive et citoyenne » : école de la violence. Déclaration commune des représentants de parents des écoles Langevin, Sorano et Balzac. Demande d’audience à la Ville.
Mardi 11/10- Audience avec Mme Filhol. Elle annonce retirer son dispositif (qui devait être généralisé à toute la Ville) des écoles. Cependant, sur le fond, elle persiste à défendre la journée et à nier les témoignages que nous avons recueillis auprès des enfants et des enseignants.
Vendredi 14/10- Nous rencontrons les enseignants des classes participantes de Langevin. Nous partageons un constat commun. Nous discutons le principe d’une motion commune pour le conseil d’école.
Mardi 18/10- La motion contre la violence à l’école, la manipulation d’armes et Prox’aventure est votée à l’unanimité (moins une enseignante).
Jeudi 17/11- Rencontre des représentants de parents des 3 écoles avec l’IEN – inspecteur de l’Education nationale – de notre circonscription. Il reconnaît qu’il a commis une erreur. Il exprime son accord avec les 3 points de la motion de Langevin. C’est un point final… sachant que Prox’aventure continue à sévir un peu partout dans l’ignorance générale des parents et la complicité des élus et de certaines institutions…
Quelques mots pour conclure

Revue de presse


Vendredi 23/09 Une partie des parents sont informés par le biais d’un flyer de la « journée sportive et citoyenne » Prox’aventure. Beaucoup de parents n’auront l’info que plus tard, le flyer distribué la veille dormant dans le carnet de correspondance. Les parents des CP et CE1 de Balzac n’ont même pas été informés.
Les représentants de parents d’élèves de Langevin avaient eu l’info 2 semaines avant par une mère travaillant à la mairie. Nous étions partagés, certains inquiets : quel lien entre la police et la citoyenneté ? Pourquoi pas des associations sportives pour initier au sport ? En même temps, voir les policiers sous un bon jour paraissait intéressant. Les parents pensaient qu’il s’agissait de la police nationale, et imaginaient que les enfants visiteraient les locaux de la police scientifique installée avec le commissariat dans notre quartier.

Mardi 27/09 Les parents de Langevin sont réunis pour la mise sous pli du matériel électoral, lorsque les enfants sortent de l’étude. Par hasard, les propos d’un enfant nous mettent en alerte : les policiers ont noté des données personnelles. Nous interrogeons nos enfants, dont plusieurs présents ont participé. Et nous apprenons l’impensable, confirmé par la directrice présente : nos enfants ont manipulé des matraques, des pistolets, ont été déguisés en policier et vêtus de gilets pare-balles… Et dans certains groupes, seul le policier était présent avec les enfants.
Nous décidons d’attendre jusqu’au week-end pour réunir des informations et rédiger une lettre de protestation.

Du mercredi 28/09 au dimanche 3/10. Les témoignages d’enfants s’accumulent et se complètent.

Lundi 3/10 Nous envoyons la lettre à la Ville (organisatrice), la préfecture (financeur) et l’IEN – inspecteur de l’Education nationale – (qui a autorisé les écoles à y participer). Devant la gravité des faits, nous décidons de la rendre immédiatement publique et de la transmettre à la presse.

La mairie nous répond le jour même par la voix d’Oriane Filhol, l’adjointe à la prévention (une de ses nombreuses casquettes à la Ville, dans l’agglo et au département). C’est simple, elle nie tout : ni arme ni violence, « atmosphère sereine et apaisée », aucune donnée personnelle demandée aux enfants.

La Semaine du 3/10, la mairie confirme son mépris. En conseil municipal, le maire, M. Hanotin, répond à nos préoccupations par "ce n’est pas un sujet". Les déclarations à la presse de son adjointe visent à faire passer les 18 représentants de parents de Langevin pour une "minorité politisée" et persiste à affirmer que les parents (lesquels ???) et les enseignants étaient enchantés. Tellement enchantés que L’IEN demande à la Ville de retirer de son site une mention mensongère de notre directrice comme partie prenante de cette journée.
Quant à nous, nous continuons notre travail de recueil d’information, d’information très large de toutes les écoles de la Ville, de discussion avec les parents de Langevin, et de mobilisation.

Prox’aventure, c’est quoi ?

C’est donc après l’envoi du courrier que nous découvrons l’arrière-plan de cette journée. Raid aventure est une association de policiers dirigée par Bruno Pomart, un ancien du Raid. Bruno Pomart, après un petit tour sur Internet, se révèle être un chouchou des médias et un habitué des ministères, qui prend systématiquement le parti des policiers lorsque des violences policières particulièrement graves sont mises au jour (il s’en prend par exemple aux soutiens de la victime dans l’affaire Zecler, il met en place une cagnotte de soutien aux « policiers blessés », alors même que les Gilets jaunes sont la cible d’une répression féroce qui fait des centaines de blessés, dont de nombreux handicapés à vie http://lemurjaune.fr/).

Son association est soutenue par Dassault, la fondation Bettencourt, Andros (?), diverses entreprises liées à la sécurité, mais aussi une ribambelle d’institutions étatiques (ministères...). Elle s’adresse à un public carcéral. Avec comme objectif la réinsertion des jeunes délinquants par la pratique d’expéditions viriles dans des contrées hostiles. Cela n’a guère eu d’incidence sur la population carcérale passée en 30 ans d’activité revendiquée par l’association de 45000 à 70000. Une tendance inverse à celle de plusieurs pays voisins.
Le « dispositif Prox », mis en place par cette association, s’adresse aux jeunes des quartiers populaires, il est censé « casser les stéréotypes » mais aussi accoutumer les jeunes aux contrôles de police (« maniement des bâtons de défense, menottage, palpation, techniques d’interpellation etc… ») "afin que lors d’un prochain contrôle, les gestes des policiers ne soient pas interprétés" et donne une large place au maniement d’armes et à la pratique d’actions violentes, ce qui est considéré comme une initiation aux "gestes techniques" des policiers (quel rapport avec la citoyenneté et le sport mis en avant dans leur communication ?).
Le visionnage de la vidéo est encore plus explicite : la journée tourne essentiellement autour des armes et de la violence, mise en scène des enfants sur la pratique du placage ventral et du menottage dans le dos

Elargissement de la mobilisation aux 3 écoles

Nous avons des retours des représentants de parents de l’élémentaire Sorano, dont nous apprenons qu’elle a également participé au dispositif, et nous contactons les représentants de parents de l’élémentaire Balzac – des parents d’une école voisine nous ont prévenus qu’eux aussi avaient été concernés. Sur proposition de Sorano, nous décidons de rédiger un texte commun pour informer tous les parents et nous nous laissons jusqu’au lundi suivant pour revenir chacun vers tous les représentants de parents et le valider.

Réactions de la presse

Les contacts avec la presse commencent. Le Canard enchaîné, actu.fr, 20 Minutes, L’Humanité, BFM… c’est à chaque fois, d’abord, l’incrédulité des journalistes. Le Parisien y consacrera trois articles, oscillant entre relais de la communication de la Ville et de Bruno Pomart et information plus objective. Dans ses colonnes, Oriane Filhol, notre élue, présente les 18 représentants de parents de Langevin comme une minorité politisée…
Quant à RMC (Les grandes gueules) et quelques autres, nous pouvons y entendre des « arguments » peu républicains : l’utilité première des policiers est la répression et il est donc légitime de les présenter sous cet angle ; dans un monde de plus en plus violent il est bon que nos enfants soient habitués à la manipulation des armes dès le plus jeune âge... manifestement, les personnes présentes sur le plateau ne connaissent rien au sujet, et le reconnaissent d’ailleurs. Nous sommes dépeints comme des parents ultrapolitisés de l’organisation gauchiste FCPE (!!!), nous sommes des bobos (comme le dit une politicienne cadre de la fonction publique parlant de nous, habitants de Saint-Denis…), etc.

Recueil d’informations

Tout au long de cette semaine, chaque jour, nous apprenons de nouveaux « détails » :

  • participation dès le CP ;
  • menottage des élèves ;
  • retour sur le comportement inapproprié de certains policiers municipaux (« Tais-toi ou je te mets sous la pluie ») ;
  • retour sur le trouble de certains élèves (« Maman, ils vont revenir nous menotter à l’école, les policiers ? »)
    En fait, les témoignages continueront par la suite. Nous apprendrons encore, sur le déroulement de la journée :
  • menottage des enfants entre eux ;
  • enfant déguisé en policier et armé d’une matraque poursuivant un autre enfant.

Ainsi, l’essentiel de ce que présente la vidéo, hormis la démonstration de la brigade canine, a été imposé à nos enfants, alors que nous pensions encore au bout de 15 jours qu’ils en avaient vécu une version « allégée ». Même pire, puisque les enfants se poursuivant avec la matraque ne figurent pas sur la vidéo.

Lundi 10/10 Nous diffusons auprès des parents le tract validé à l’unanimité par Sorano et Langevin, et par une partie des parents de Balzac (deux s’y opposent).
Le texte est diffusé sur les réseaux sociaux, diffusés dans les écoles, affiché… L’accueil est unanime : c’est la consternation. Lors des diffusions, les témoignages d’indignation et de soutiens sont généralisés, les parents habituellement pressés s’arrêtent pour discuter. La parole se libère, les parents dont les enfants ont participé disent leur indignation. Beaucoup pensaient qu’il s’agissait d’une rencontre avec la police nationale au commissariat, que le enfants allaient visiter la police scientifique… D’autres nous rapportent le comportement d’enfants y ayant participé et qui s’éclaire a posteriori. Comme ces "jeux" violents qui rappellent les "animations" de la journée.

L’information tourne largement dans les écoles de la Ville et chez les enseignants. C’est un choc. La question qui revient, surtout chez les enseignants qui nous contactent : comment les équipes pédagogiques ont pu participer à ça ? Notre réponse ne variera pas, à tous nos interlocuteurs, presse comprise, même si nous n’avons aucun retour direct des enseignants et même si nous devons récupérer chaque information seuls : les enseignants ont, comme nous, été trompés. C’est aussi le message que nous fait passer la directrice de Langevin. Pour les enseignants aussi l’expérience a été traumatisante, et la sensation d’avoir été instrumentalisés par la Ville, comme nos enfants, au service des relations publiques du maire et de la police municipale est forte.

Le collectif des trois écoles envoie une demande d’audience à la Ville et à l’IEN (Education nationale), Langevin joint un courrier de mise au point à la réponse de l’adjointe à la prévention.

Mardi 11/10 Audience à la mairie avec Oriane Filhol et l’adjoint au directeur de cabinet du maire.
Même face à nous, ce n’est qu’implicitement que l’adjointe reconnaîtra ce qui s’est passé. Elle continue à nier, contre l’évidence, les témoignages des élèves, des enseignants, des parents présents (pas de parents de Balzac ni de Langevin). Elle était sur place mais n’a rien vu.

C’est cependant une victoire : le dispositif ne sera plus proposé aux écoles, et il ne sera pas proposé aux centres de loisirs comme nous en avions eu l’écho. Il restera proposé, comme c’était le cas depuis 3 ans, dans les quartiers, sur la base du volontariat, aux passants.

Une victoire amère cependant : quelle confiance accorder à une Ville qui jusqu’au bout aura persisté à nier l’évidence ? Aura tenu sur nous des propos qu’elle savait mensongers pour nous discréditer ? Pourquoi ne pas simplement reconnaître avoir commis une erreur, ce qui aurait eu le mérite de remettre les compteurs à zéro avec elle ?

Vendredi 14 octobre Nous rencontrons enfin les enseignants des classes de CM1 et CM2 de Langevin ayant emmené nos enfants à « Poxaventure ». Les échanges sont fructueux. Selon les ateliers auxquels ils ont participé, les enseignants n’ont pas forcément vécu la même chose. Au regard de l’ensemble du dispositif tous s’accordent cependant à reconnaître que ce n’était pas adapté. Le principe d’une motion commune pour le conseil d’école, dont le texte est proposé par les parents, recueille l’accord des enseignants qui le proposeront en conseil des maîtres le soir même.

Mardi 18 octobre Le conseil d’école vote à l’unanimité des parents et des enseignants (moins une abstention) la motion condamnant la manipulation d’armes et la pratique d’activités violentes dans le cadre scolaire, « l’école ne participera plus à ce dispositif ». C’est pour nous crucial pour deux raisons :
 c’est une garantie locale, car nous n’avons plus aucune confiance dans la Ville, étant donné la manière dont se comportent les élus avec nous ;
 c’est un point d’appui important contre le discours mensonger de la Ville qui depuis le début affirme que les parents et les enseignants ont été enchantés par le dispositif...

Jeudi 17 novembre Nous rencontrons enfin l’inspecteur de l’Education nationale de notre circonscription. Il fait honneur à son institution, en reconnaissant qu’une erreur d’appréciation a été commise, et reprend les points clés de notre motion : plus de manipulation d’armes à l’école, plus de pratique d’activités violentes, Proxaventure c’est terminé. La Ville est définitivement et complètement désavouée, ses mensonges étalés au grand jour, son insupportable mépris balayé – après nous avoir reçu le 11/10 pour nous annoncer qu’elle renonçait au dispositif, elle affirmait au Parisien le 22/10 que ce n’était pas le cas...

Lundi 21 novembre. Nous diffusons notre dernier communiqué commun aux représentants de parents des trois écoles. Pour annoncer que le point final a été posé par l’Education nationale, que la Ville ne pourra plus faire marche arrière, que nous avons gagné.

Quelques mots pour conclure

Nous, parents, n’oublierons pas que c’est uniquement notre vigilance qui a empêché de banaliser l’intrusion dans le milieu scolaire, pour des élèves à partir du CP, d’une violence inadmissible. Des élus se prétendant « de gauche » ont osé défendre ce qui a été présenté à nos enfants comme un "jeu". A nous, parents, il nous faudra veiller à ce que nos enfants comprennent et assimilent que ce qui a été présenté comme un jeu n’en est nullement un. On ne fait pas de placage ventral à un camarade, cela peut tuer. Les pistolets tuent, les matraques peuvent blesser grièvement. Les policiers les utilisent si nécessaire : ils ont le monopole de la violence régie par le droit dans une société démocratique. Mais ces instruments servent à blesser, à tuer, ce n’est pas pour "jouer". Et s’il peut arriver que des policiers soient contraints d’utiliser légitimement la violence, il ne faut pas oublier que les violences policières trop fréquentes sont, elles, illégitimes. Et surtout, le rôle premier de la police n’est pas l’exercice de la violence - ce ne peut-être, au pire, qu’un moyen -, mais de nous protéger, et de protéger nos droits de citoyens… dans une société démocratique.

Nous, parents, n’oublierons pas que nous nous sommes battus seuls contre l’intolérable, et qu’il s’en est fallu d’un rien que cela passe en silence. Après tout, ce dispositif a pignon sur rue et aussi improbable que cela paraisse n’avait jusque-là choqué personne. Nous ne savons toujours pas s’il avait déjà été proposé dans le cadre scolaire du premier degré, mais il l’était en tout cas au collège, et il l’est toujours. Si nous avons pu faire front commun avec la plupart des enseignants de nos écoles, si certains syndicalistes enseignants de la Ville nous ont apporté leur soutien et fait part de leur consternation en off, aucun des syndicats d’enseignants présents dans les écoles que nous avions interpellé (SUD, CGT, FO, SNUIPP) ne nous a répondu.

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